Le ministre de la Justice Gérald Darmanin a relancé le débat sur la gestion carcérale en proposant un isolement renforcé pour les narcotrafiquants les plus dangereux. Une annonce qui suscite des réactions variées parmi les magistrats et les avocats, entre soutien à une action ferme contre les criminels et inquiétudes sur les dérives potentielles.
Un isolement inspiré des mesures anti-terroristes
Lors d’une visite au tribunal judiciaire de Paris, Gérald Darmanin a expliqué que l’État devait envoyer un signal fort face aux chefs de réseaux criminels. « La France est capable, malgré les contraintes budgétaires, d’isoler les quelques dizaines de narcotrafiquants qui continuent de semer la mort », a-t-il déclaré.
Le ministre envisage un régime pénitentiaire inspiré de celui appliqué aux terroristes : isolement dans des centres spécifiques, brouillage des communications téléphoniques, et renforcement des moyens humains et techniques. « Avec quelques millions d’euros supplémentaires et une organisation efficace, nous mettrons hors d’état de nuire ces criminels », a-t-il assuré.
Des avis partagés parmi les professionnels
Cette proposition est accueillie favorablement par certains acteurs du monde judiciaire. « Il est impératif de prévoir des établissements spécifiques pour ces détenus, leur influence étant trop dangereuse », souligne Emmanuel Baudin, secrétaire général de FO Justice. Des magistrats spécialisés dans la criminalité organisée appuient également cette initiative, citant le modèle italien de lutte contre la mafia comme exemple à suivre.
Cependant, d’autres professionnels dénoncent une approche qu’ils jugent inadaptée. Romain Boulet, président de l’Association des avocats pénalistes, parle d’une « torture blanche » aux conséquences dramatiques sur la santé mentale des détenus. « Ce régime administratif risque de bafouer la présomption d’innocence et sera quasi impossible à contester », s’inquiète-t-il.
La question de la surpopulation carcérale
Le projet de Gérald Darmanin s’inscrit dans un contexte de surpopulation carcérale record en France, avec plus de 80 000 détenus au 1er novembre 2024. Le ministre a également évoqué la construction de nouvelles « prisons légères », adaptées aux peines courtes, pour éviter le mélange entre petits délinquants et criminels endurcis.
« Il faut penser les établissements en fonction des détenus, pas l’inverse », insiste une magistrate. Elle regrette que l’immobilier pénitentiaire reste largement obsolète et inadéquat pour répondre aux défis actuels, notamment en matière de réinsertion et de lutte contre la récidive.
Des inquiétudes sur les régimes d’exception
Certains avocats craignent que ce renforcement sécuritaire ne crée une banalisation des régimes d’exception. « Assimiler les délinquants de droit commun aux terroristes est une dérive dangereuse », affirme le pénaliste Raphaël Chiche.
En parallèle, le ministre n’a pas clarifié si cette proposition s’intégrera à la loi sur les peines inférieures à six mois ou nécessitera un nouveau cadre législatif. « Il reste des zones d’ombre », s’interroge un magistrat.
Un projet ambitieux, mais controversé
Le projet de Gérald Darmanin témoigne d’une volonté de réformer profondément le système pénitentiaire français. S’il est salué par ceux qui voient en lui une réponse aux défis posés par la criminalité organisée, il suscite également des craintes légitimes quant à ses implications éthiques et pratiques.
Alors que la réforme pénitentiaire reste un sujet sensible, les prochains mois permettront de mesurer la faisabilité et l’acceptation de ces mesures par les différents acteurs concernés.
Regards Actuels avec AFP – Murielle KASPRZAK